Après une première partie consacrée à l’apparition du verre en Chine, étudions à présent le développement de la tabatière en verre à la cour impériale de l’empereur Kangxi puis de l’empereur Yongzheng.
Pour mémoire: à la fin du XVIIème siècle, avec le nouvel enthousiasme de l’empereur Kangxi (1662-1722) pour l’art du verre et le développement rapide de la prise de tabac au sein de la Cité Interdite, apparaissent les premières tabatières en verre.
Les européens occupent un rôle important dans cette entreprise. Contemporain de Louis XIV avec qui il a de grandes similitudes, Kangxi gouverne son pays de main de maître et s’avère homme des Arts et des Lettres. Il accepte à sa cour de nombreux jésuites, utilisés sans scrupule pour leurs diverses compétences dans tous les départements artistiques, littéraires ou scientifiques du Palais Impérial. De nombreux cadeaux, dont des objets en verre, lui sont parvenus d’Europe et l’empereur découvre avec intérêt cette matière dont il ne soupçonnait pas les possibilités. Boshan ou Canton ne réalisent rien de comparable. En conséquence, il ordonne en 1696 la création d’une verrerie dans l’enceinte du palais Impérial sous la direction du jésuite allemand Kilian Stumpf (1655-1720) et requiert les meilleurs ouvriers de l’empire.
L’apport technique européen fut notable. La formule de fabrication du verre se perfectionne, permet plus de pureté et de malléabilité, même si parfois les tabatières montrent des réseaux de craquelures sur leurs surfaces interne ou externe. Ce défaut, connu en Europe, provient d’un excès alcalin dans la composition de base. Caractéristique des anciennes tabatières en verre, preuve de l’intervention étrangère, elle se révèle aussi un élément de datation.
La technique du verre soufflé progresse et la gravure ou taille à la pointe de diamant fait son apparition. Sous Kangxi les principales couleurs utilisées pour les tabatières sont le rouge, le bleu, et le jaune (couleur impériale) toujours en monochromie mais des effets de tâches d’or, d’argent ou multicolores inspirés de la verrerie vénitienne constituent les premiers décors. Les formes initiales demeurent simples et souvent arrondies, mais elles évoquent aussi la verrerie de Bohème selon un travail en facettes autour de panneaux circulaires alors que des modèles proprement européens et appréciés par l’empereur, comme la montre de gousset, appellent de nouvelles conceptions.
Deux autres contributions européennes essentielles datent de cette période : l’utilisation de la « pourpre de Cassius » permettant une nouvelle palette de couleur à base de rose, et la technique de l’émaillage. En corrélation, elles généreront de véritables chefs-d’œuvre sur métal, verre ou porcelaine.
Kangxi, séduit par le travail de l’émail sur verre, réclame les rares spécialistes chinois dont son pays dispose. Venus de Canton, ces artisans, probablement anciens élèves de spécialistes européens, vont travailler au Palais Impérial à partir de 1716.
Il faudra attendre l’arrivée en 1719 du jésuite et émailleur Jean Gravereau pour que les ateliers satisfassent les commandes impériales. Malheureusement aucune tabatière en verre émaillée portant la marque de l’empereur Kangxi n’est à ce jour répertoriée. Deux sont attribuées : la première par analogie technique et décorative avec un petit bol « marqué » (photo 1 ci-dessous) et l’autre par similitude avec une tabatière en métal émaillé et portant également la marque Kangxi (photo 2 ci-dessous). Ces deux tabatières en verre témoignent des limites techniques de l’époque face à la complexité du procédé d’émaillage sur verre. En effet la température de cuisson doit être très précise pour arriver à la couleur d’émail voulue et ne pas provoquer une déformation de la pièce.
L’empereur Yongzheng (1723-1735) s’intéresse lui aussi à ces nouvelles technologies. Il va poursuivre les commandes et continuer de financer les ateliers de Pékin tout en décidant de transférer une partie des ateliers de la verrerie dans sa résidence du jardin impérial du Yuanming Yuan.
Les tabatières en verre de cette période sont aujourd’hui extrêmement rares. Les formes épurées et les couleurs monochromes persistent mais on tentent de nouvelles couleurs opaque comme le rouge orangé opaque servant à imitant le réalgar (pierre contenant de l’arsenic utilisée dans l’alchimie taoïste). L’empereur Yongzheng apprécie les tabatières. Il en offre aux officiels ou dignitaires et en commande à l’occasion de fêtes annuelles traditionnelles. Au cours du 18ème siècle, le flacon à tabac accompagnera tous les grands événements.
Les tabatières en verre émaillé de cette période sont rares : une seule tabatière portant la marque de l’empereur Yongzheng est connue à ce jour. Elle est conservée au Musée National de Taipei à Taiwan. Elle montre une forme de tronc de bambou émaillé vert, ornée de petites feuilles et d’insectes, elle montre la marque impériale sous sa base au centre d’un contour figurant un champignon symbolique. Les archives du Palais la signale comme exécutée en l’an 1728.
Au fil des règnes de Kangxi et de Yongzheng, la rapide évolution du verre entraîne celles de méthodes décoratives inédites sur verre : la sculpture, le verre doublé (overlay), la dorure, la gravure… À découvrir prochainement.